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Économie de l'attention (partie 3) : enfants et écran : à la recherche du temps perdu

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Rapport du gouvernement  “Enfants et écran, à la recherche du temps perdu”

La première partie du rapport pose les bases d’analyse de l’exposition des enfants et des adolescents aux écrans, par rapport au niveau des équipements et des pratiques qui en sont faites. 

Relevons ces quelques chiffres :

  • 10 appareils numériques avec écrans, en moyenne dans les foyers français
  • 98 % des collèges et lycées publics disposent de salles informatiques
  • 75,5 % des écoles maternelles et élémentaires ont un accès internet au moins dans la moitié des salles de classe
  • Les 13-19 ans possèdent en moyenne 2,9 écrans pour leur usage propre
  • Les 7-12 ans possèdent en moyenne 1,6 écran pour leur usage propre
  • Les enfants de 6 à 17 ans passent en moyenne 4h11 par jour sur un écran (sans compter les temps et usages à l’école)
  • 86 % des 8-18 ans sont inscrits sur les réseaux sociaux

La deuxième partie du rapport présente les risques liés à une trop forte exposition aux écrans.

Tout d’abord en termes de santé somatique. Alors qu’un adolescent devrait dormir entre 8h30 et 9h, il ne dort qu’en moyenne 7h45 (les écrans stimulent l’éveil et décale le pic de mélatonine troublant le rythme de sommeil naturel). Ce manque de sommeil peut favoriser la venue de nombreuses pathologies (troubles métaboliques, d’humeur ou de l’attention, diabète, maladie cardiovasculaire...) et compromettre leur réussite scolaire.

 Par ailleurs, la place prise par les écrans favorise la sédentarité et le manque d’activité physique, ce qui accroît les risques de surpoids, d’obésité et de pathologies chroniques (troubles musculo-squelettiques). 33 % des moins de 3 ans ne pratiquent aucune activité physique d’extérieur. 
 Le visionnage intensif d’écrans a également des effets néfastes pour la vue, ce qui peut entraîner des conséquences préoccupantes à long terme. Plusieurs autres effets secondaires sur la santé somatique sont également à l’étude, comme les effets de l’exposition aux rayonnements radiofréquences, ou l’existence possible de “perturbateurs hormonaux” ou “endocriniens”...

Le rapport évoque ensuite les troubles sur le développement neurologique et socio-relationnel des enfants. La « technoférence » est l'interférence des technologies (smartphones, appareils numériques...) dans les interactions sociales et familiales. Pédiatres, orthophonistes, enseignants et médecins de PMI ont observé que des enfants de moins de 3 ans, surexposés aux écrans (parfois plus de 6h par jour) présentent des difficultés de langage, d'alimentation, de communication (problèmes de concentration et vocabulaire moins riche).
 Le cerveau se développe jusqu'à environ 25 ans. Les premières années sont cruciales pour le développement des compétences de base.

  • Avant 2 ans : les effets de l’exposition aux écrans sont associés à de moins bonnes performances au niveau du langage et des capacités attentionnelles.
  • 2-6 ans : un temps d’écran supérieur à 1h par jour est associé à de moins bonnes performances cognitives globales, attentionnelles, langagières et socio-émotionnelles.
  • 6-17 ans : un temps d’écran supérieur à 2h par jour peut engendrer des problèmes d’attention et de performances scolaires. 
  • 15-18 ans : un usage à haute fréquence du smartphone (plusieurs fois par jour) est associé  à une augmentation des symptômes de type inattention, impulsivité et hyperactivité.

En matière de santé mentale, notamment de dépression et d’anxiété, l’utilisation des réseaux sociaux semble être un facteur de risque lorsqu’il y a une vulnérabilité préexistante.
 Certains jeunes, peuvent ressentir une forte anxiété à l'idée d'être séparés de leur téléphone ("nomophobie"). Les écrans peuvent entraîner un repli sur soi, où les jeunes préfèrent la vie virtuelle à leur vie réelle. Le processus addictif est lié au fonctionnement du système de récompense du cerveau, dépendance initiée par une libération importante de dopamine qui crée un fort désir de consommer davantage. Les médias sociaux exploitent ces mécanismes addictifs.

Le rapport fait également mention des risques d’exposition à des contenus inappropriés, traumatiques, voire dangereux pour la  sécurité des mineurs. Selon une enquête, 7 jeunes sur 10 âgés de 11 à 18 ans considéraient eux-mêmes avoir déjà été exposés à des « contenus choquants sur Internet ou sur les réseaux sociaux » (contenus à caractère pornographique, violent ou haineux). 

L’hyper-présence des écrans dans la vie des mineurs amplifie également le phénomène de harcèlement. 24 % des familles ont déjà été confrontées au cyberharcèlement.

La deuxième partie du rapport termine avec une liste non négligeable des impacts « sociétaux ».

Certains aspects du numérique peuvent limiter la liberté des jeunes et nuire à la cohésion sociale.

  • L'utilisation intensive des réseaux sociaux, guidée par des algorithmes qui montrent aux utilisateurs ce qu'ils aiment, rend l'expérience numérique très personnelle, les isolants les uns des autres. Cette fragmentation rend difficile la création d'un imaginaire commun.
  • L’amplification des représentations et stéréotypes : il est beaucoup plus difficile de combattre les idées véhiculées par les réseaux sociaux et les influenceurs, qui peuvent donner aux enfants et adolescents des visions discutables des relations sociales, des genres ou du travail. Ainsi les réseaux sociaux, contrôlés par de grandes entreprises, influencent nos opinions et diffusent parfois de fausses informations. Les deepfakes, vidéos modifiées par l'intelligence artificielle, sont devenues une préoccupation croissante.
  • Les expériences numériques ne sauraient, à elles seules, expliquer des faits graves de violence, mais elles pourraient contribuer à une forme de désensibilisation. Le risque réside plutôt dans l'accumulation de confrontations répétées à la violence à travers divers médias.
  • Enfin, la Commission aborde l'impact environnemental des technologies de l'information et de la communication, soulignant leur empreinte carbone croissante. Pour inverser cette tendance, elle préconise des politiques de sobriété numérique ( réduction du nombre d'équipements et adoption plus réfléchie des usages numériques).

La troisième partie expose les différentes actions mises en place.

Suite au constat fait sur les risques, un déploiement progressif d’un cadre cherchant à réguler, conseille, et sécuriser l’usage des écrans par les mineurs est mis en place

  • Un cadre juridique : L’Union Européenne a récemment déployé tout un arsenal juridique pour commencer à encadrer l’activité des acteurs du numérique et limiter les risques pour les mineurs. Plusieurs cadres réglementaires existent déjà (RGPD, directive SMA du 14 novembre 2018, DSA) et des mesures sont déjà mises en place (mesures pour protéger des contenus inappropriés, âge minimum pour l'inscription sur les réseaux sociaux à 15 ans, mesures de contrôle parental, loi SREN pour renforcer la lutte contre la haine en ligne).
  • Des stratégies préconisées par les experts : La règle du « 3-6-9-12 » proposée par le psychiatre Serge Tisseron : pas d’écran avant 3 ans ; pas de console de jeu portable avant 6 ans ; pas d’Internet avant 9 ans et Internet seul possible à partir de 12 ans, mais avec prudence.
  • Des outils de modération : Des initiatives de modération, de signalement et de répression existent (des outils sont mis en place sur la plupart des sites, plateformes et réseaux sociaux) mais sont mis au défi de l’explosion des contenus choquants. Une amélioration nécessiterait des moyens considérables et un engagement politique fort.
  • Des tentatives de responsabilisation et d’implication : La Commission a examiné les efforts des acteurs numériques pour protéger les mineurs, mais souligne que les initiatives restent insuffisantes et mal coordonnées. Les acteurs économiques (fabricants, fournisseurs d'accès à Internet, et plateformes) renvoient souvent la responsabilité aux parents.
  • Un cadre mis en place par les lieux d’accueil des enfants : Pour ce qui est de la petite enfance l’exposition aux écrans est maîtrisée dans les crèches, mais problématique chez les assistantes maternelles. La loi « Blanquer » interdit les téléphones mobiles dans les écoles et collèges, bien mise en œuvre mais avec des infractions dans les toilettes et pendant les cours.
  • Une ébauche de gouvernance numérique : La gestion du numérique et des enfants est éparpillée entre différents domaines d'intervention ministérielle (santé, famille, protection de l'enfance, économie, éducation nationale et justice). Bien que les acteurs institutionnels soient engagés, il existe un manque de coordination et de stratégie collective. Le financement de cette politique publique pose problème, avec une dépendance aux acteurs économiques responsables des effets négatifs des écrans, ce qui soulève des questions d'éthique et d'efficacité.

Enfin, la dernière partie de ce rapport présente les 30 propositions d’actions de la Commission, réparties selon 6 axes :

Axe n°1 : s’attaquer, pour les interdire, aux conceptions addictogènes et enfermantes de certains services numériques afin de redonner du choix aux jeunes

  • Proposition 1 : Inverser la charge de la preuve pour lutter contre les conceptions et les algorithmes délétères des services numériques et se doter de capacités d’audits réguliers indépendants
  • Proposition 2 : Proscrire les pratiques délétères en termes de conception et faire émerger un standard éthique européen
  • Proposition n°3 : Rendre le pouvoir à l’utilisateur par la reconnaissance d’un nouveau « droit au paramétrage »
  • Proposition n°4 : Renforcer les « garde-fous » dans les jeux vidéo pour sécuriser l’expérience des jeunes joueurs, et ainsi mieux les protéger des contenus inappropriés et lutter contre le développement des microtransactions et designs trompeurs
  • Proposition n°5 : Sécuriser, structurer et amplifier l’action de la société civile, comme relai incontournable de gestion des externalités négatives des plateformes
  • Proposition n°6 : Envoyer un signal clair d’investissement dans la recherche multidisciplinaire et d’ouverture des données afin de renforcer la position du régulateur dans le dialogue avec les forces économiques

Axe n°2 : protéger, plutôt que contrôler, les enfants : une bataille qui doit se mener et peut se gagner auprès des acteurs économiques

  • Proposition n°7 : Faire émerger et promouvoir des solutions privées de protection plus efficientes et accessibles, notamment pour les familles
  • Proposition n°8 : Soutenir le déploiement ferme du DSA à l’égard des sites pornographiques, pour forcer à l’adoption des outils de contrôle de l’âge déjà disponibles, et investir dans le même temps dans la production de ressources adaptées aux questions légitimes des enfants sur leur vie affective et sexuelle
  • Proposition n°9 : Garantir le passage à l’échelle de la politique de signalement pour en faire un levier important d’action en direction des plateformes
  • Proposition n°10 : Promouvoir activement les meilleurs standards de protection de la santé physique et de l’environnement pour les outils technologiques et services numériques

Axe n°3 : assumer et organiser une progression des usages des écrans et du numérique chez les enfants en fonction de leur âge

  • Proposition 11 : Protéger les jeunes enfants de moins de 6 ans de l’exposition aux écrans, notamment dans les lieux d’accueil (crèches, assistantes maternelles, école maternelle…)
  • Proposition 12 : Autoriser l'accès aux seuls réseaux sociaux éthiques à compter de 15 ans
  • Proposition 13 : Organiser une prise en main progressive des téléphones (avant 11 ans : pas de téléphone ; à partir de 11 ans : téléphone sans connexion Internet ; à partir de 13 ans : téléphone connecté sans accès aux réseaux sociaux ; à partir de 15 ans : accès complémentaire aux réseaux sociaux éthiques)
  • Proposition n°14 : Définir et piloter une politique d’équipements numériques respectueuse des enfants, et réconciliant les enjeux de santé, de pédagogie, d’éducation et d’environnement (en école maternelle pas d’écran ; en école primaire pas d’équipements individuels)
  • Proposition n°15 : Associer systématiquement le déploiement des programmes et des ressources numériques éducatifs dans un cadre scolaire à une expérimentation, une étude d’impacts préalable avant diffusion plus large et à une formation des enseignants à leurs usages pédagogiques.
  • Proposition 16 : Fixer un cadre strict d’utilisation pour « Pronote » et les ENT avec mise en place de paramétrages par défaut protecteurs des enfants
  • Proposition 17 : Renforcer l’application de l’interdiction des téléphones au collège, et systématiser dans chaque lycée un cadre partagé sur la place et l’usage des téléphones dans la vie de l’établissement

Axe n°4 : Préparer sérieusement les jeunes à leur autonomie sur les écrans, leur donner le pouvoir d’agir et, dans le même temps, redonner toute leur place aux enfants et aux jeunes dans la vie collective 

  • Proposition n°18 : Former et informer les élèves dès l’école élémentaire puis tout au long de leur scolarité, de façon appropriée selon leur âge, au numérique, à son modèle, à ses contenus, à ses usages, aux opportunités qu’il offre et aux dangers qu’il peut présenter
  • Proposition n°19 : Avoir des adultes et des étudiants référents sur le numérique en ligne et hors ligne et créer des espaces de dialogue sécurisés pour les enfants
  • Proposition n°20 : Renforcer l’éducation à la santé, et spécifiquement : aux enjeux du sommeil, liés à la sédentarité et à l’insuffisance d’activité physique, et aux risques concernant la vue.
  • Proposition n°21 : Faire une place sérieuse et complète à toutes les éducations « au vivre ensemble » qui sont systématiquement traversées par des enjeux d’amplification face au numérique

Axe n°5 : Mieux outiller, mieux former au numérique et mieux accompagner les parents, les enseignants, les éducateurs et tous ceux qui interviennent auprès des enfants, tout en organisant une société qui remet l’écran et le numérique à sa juste place

  • Proposition n°23 : Déployer une véritable politique d’aide et de soutien à la parentalité en matière d’écrans et de numérique
  • Proposition n°24 : Permettre aux enseignants de maîtriser les fondamentaux du numérique, les enjeux de la citoyenneté numérique et les usages pédagogiques du numérique dès leur formation initiale et garantir tout au long de leur carrière la possibilité d’actualiser leurs connaissances
  • Proposition n°25 : Sensibiliser l’ensemble des professionnels et bénévoles intervenant auprès des enfants aux enjeux du numérique et bâtir un cadre de recommandation des usages de leurs écrans lors des interactions avec les enfants
  • Proposition n° 26 : Promouvoir des lieux et des temps « déconnectés » et sans écran, notamment pour encourager les adultes à se poser la question de leur propre rapport aux écrans

Axe n°6 : Mettre en place un dispositif ambitieux de gouvernance permettant à la puissance publique de définir une véritable stratégie, de disposer de capacités de pilotage, de pouvoir mieux soutenir les acteurs qui interviennent auprès des jeunes et des familles, et d’informer les citoyens

  • Proposition n°27 : Installer une gouvernance et une force d’organisation nouvelles au service d’un projet global pour la maîtrise du numérique, la protection et l’émancipation des jeunes
  • Proposition n°28 : Assurer la soutenabilité des moyens nécessaires par la déclinaison du principe pollueur payeur alimentant un fonds dédié de financement de la recherche, des politiques publiques et acteurs vertueux
  • Proposition n°29 : Déployer une stratégie de communication massive, récurrente, grand public de sensibilisation et d’information sur les enjeux de santé, d’éducation et d’environnement attachés largement aux « écrans », ainsi que de promotion des besoins de l’enfant et des réponses alternatives
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Retrouvez les 142 pages du Rapport (publié le 23 avril 2024)

 

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