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Économie de l'attention (partie 2): la guerre de l'attention

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La guerre de l’attention, Yves Marry et Florent Souillot (2022)

Les auteurs nous poussent à ouvrir les yeux sur les grands mythes vendus par l’industrie numérique que l’on accepte sans les questionner au nom du progrès ou du sens de l’histoire : les vertus de l’éducation par le numérique, l’esprit de collaboration stimulé par les jeux vidéos, les nouvelles formes de sociabilité entraînées par les réseaux sociaux, le gain de temps…

Ils démontrent « la place essentielle qu’occupe notre attention comme ressource capturée et exploitée par les acteurs du numérique, à l’instar de l’eau ou du pétrole dans d’autres secteurs ». Cette attention précieuse pour l’industrie numérique constitue le fondement de notre liberté, de notre humanité. Elle nous relie au vivant. 

Si on veut faire face aux enjeux écologiques, contribuer à une société plus sobre et « conviale », il est essentiel de la préserver en adoptant des politiques de protection pour agir individuellement mais surtout collectivement. 

Partie 1 : Le coût de l’extraction de l’attention

  • Cet accaparement de notre attention a un coût sanitaire d’abord : manque de sommeil (en France sa durée moyenne a baissé de 1h30 en 50 ans, passant de 8h15 à 6h45 par nuit alors que le temps de travail a diminué) et augmentation de l’obésité.
     
  • Cette captation a également des répercussions sur notre rapport aux autres. En cherchant de la reconnaissance sociale promise par les réseaux sociaux, on récolte surtout de l’évaluation (on évalue et on se fait évaluer pour tout, jusque dans nos actions les plus intimes) : « Nous sommes accros à l’attention des autres » témoigne Tristan Harris, ex-ingénieur de Google.
     
  • Alors que l’industrie du numérique nous vante ses outils comme des instruments nous facilitant la vie, nous épargnant des tâches redondantes, nous faisant gagner du temps... Nous nous retrouvons paradoxalement à traiter une série de tâches de plus en plus urgentes et répétitives (traiter des mails, mettre à jour des données, actualiser nos profils, commenter, liker, réagir, partager, publier…)
     
  • Les auteurs s’interrogent également sur les conséquences de cet accaparement de notre attention sur la démocratie. Passer une grande partie de son temps devant un écran laisse peu de place à l’action. Sans compter sur le fait que les algorithmes sont programmés pour nous conforter dans notre « bulle de filtres »  en affichant des contenus relevant de « l’engagement émotionnel, de l’ancrage des croyances et de l’expression individuelle ».
     
  • Enfin, les auteurs mettent en avant un autre paradoxe entre le mythe des réseaux sociaux perçus comme outils émancipateurs et la réalité :  leur gouvernance obéit à des intérêts privés et fixe les conditions d’utilisation sans aucune transparence (règles de modération, fermeture de comptes...)
     

Partie 2 : L’économie de l’attention, dernier bastion de la croissance

Notre attention est devenue une ressource (épuisable) à extraire (comme l’eau, le pétrole) pour répondre à des logiques économiques et privées, mais si on s’interroge sur nature même de notre attention, ce qu’elle représente pour notre humanité : elle constitue également « notre être social, notre volonté, notre capacité d’action politique, notre rapport au monde, à nous, aux autres, au vivant ».

Au cœur de cette économie de l’attention, il y a la captologie ; discipline née à l’université de Stanford et enseignée depuis 40 ans. 
 Son objectif :  capturer l’attention des gens pour leur faire prendre de nouvelles habitudes en les récompensant ou plutôt en satisfaisant leur désir de récompense.
 Comment ? Grâce aux mécanismes de design attentionnel.

Il y a 3 systèmes d’attention différents qui correspondent à des régions distinctes de notre cerveau :

1-L’attention saillante et l’habitude

À force de répétition, notre cerveau fonctionne comme un pilote automatique, avec des réflexes dont nous n’avons pas conscience (ex : lever les yeux pour traverser la route...)

Dans le design de l’attention, cela se traduit par :

  • Les déclencheurs pour capter notre attention (notifications, alertes, élément sonore, élément visuel en mouvement, bouton d’appel à l’action)
  • La création de l’habitude pour nous retenir - hameçonnage (ex : ouvrir Instagram x fois par jour sans même qu’on nous y invite)

2-Le système émotionnel (la récompense)

Les captologues vont utiliser le levier le plus puissant pour stimuler notre attention émotionnelle : la récompense variable inspirée directement des machines à sous ; c’est-à-dire l’alternance d’éléments banals et d’éléments de surprises. Exemple du fil d’actualité sur Snapchat, où l’algorithme présente les éléments récurrents de votre fil d’actualité avec des éléments aléatoires inattendus.

Notre niveau de dopamine (hormone du plaisir) augmente quand notre cerveau anticipe une récompense et introduire de la variabilité (inattendu) en démultiplie les effets.

Les émotions, particulièrement si elles sont négatives, sont de puissants déclencheurs (l’ennui, la solitude, la frustration...). 
 Les émotions les plus couramment utilisées par les concepteurs d’interface : 

  • L’incitation à la réponse (les points de suspension lorsque l’interlocuteur est en train de rédiger un message WhatsApp ou Facebook)
  • Le besoin de reconnaissance sociale (les « likes »)
  • Le sentiment d’urgence (plus que x jour pour bénéficier de ce tarif...) qui exploite l’effet de rareté - biais cognitif qui consiste à accorder plus de valeur à ce qui est (ou paraît) rare.


3-Le système exécutif


C’est le système qui nous empêche d’être constamment distraits. C’est grâce à lui que nous sommes capables de nous concentrer sur une tâche ponctuelle pendant un temps donné. C’est la forme d’attention que nous avons de plus en plus de mal à mobiliser. Google a déterminé qu’elle est aujourd’hui à 9 secondes !

Les auteurs achèvent cette partie traitant de l’emprise des Géants de la Tech par cette citation de Hartmut Rosa : « Considérons comme totalitaire un pouvoir lorsque :

  • Il exerce une pression sur les volontés et les actions des sujets.
  • On ne peut pas lui échapper, c’est-à-dire qu’il affecte tous les sujets.
  • Il est omniprésent, c’est-à-dire que son influence ne se limite pas à l’un ou l’autre des domaines de la vie sociale mais qu’elle s’étend à tous ses aspects.
  • Il est difficile ou presque impossible de le critiquer et de le combattre. »
     

Partie 3 : La déconnexion, pilier de la transition écologique

Telle l’eau, l’air ou la terre, l’attention humaine est une ressource naturelle, un « bien commun » exploité par la « méga machine » et qui vient à manquer. 
 Crise écologique et crise attentionnelle sont étroitement liées.

Notre attention a une valeur politique et notre addiction aux réseaux sociaux nous éloigne encore plus du vivant.  

« L’attention, dans toute sa pluralité, est bien au cœur des enjeux écologiques contemporains. 

  • Captée, elle accentue l’aliénation de l’Homme moderne en le déconnectant de lui-même, des autres et du monde.
  • Détournée, elle peut être manipulée par ceux qui en ont le contrôle à des fins mercantiles ou politiques.
  • Reconquise, elle peut contribuer à l’avènement d’un nouvel être au monde, à la possibilité d’une « résonance » et d’un rapport sensible au vivant, et à l’émergence d’une résistance pour enrayer le rythme infernal de la “méga machine“. »

La déconnexion et autres mesures individuelles comme la limitation des notifications, ou la méditation sont essentielles mais ne sont pas suffisantes face au problème politique que constitue cette guerre actuelle.

Partie 4 : Politiques de protection de l’attention

Les auteurs proposent des politiques pour protéger les enfants en particulier (0 écrans avant 5 ans, fin du numérique imposé dans l’éducation, droit à la déconnexion...) et pour l’ensemble de la société (droit à la protection de l’attention, taxation de la publicité en ligne, interdiction d’utiliser des biais cognitifs par les services en ligne...)

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