Composiday : la journée de conférences sur l’inclusion dans la Tech

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On a assisté à cet évènement, en ligne, organisé par l’association Compositech et nous proposons une synthèse des conférences qui nous ont beaucoup plu !

1. Le retour d’expérience de l’entreprise Shodo qui a multiplié par trois les effectifs féminins en 3 ans

Shodo est une ESN (Entreprise de Service Numérique) créée par 2 hommes. Malgré une politique sociale d’entreprise assez avancée (distribution de 85% du CA, salaire moyen de 70K/an, grille salariale transparente et publique, veille intégrée au temps de travail…), elle ne parvenait pas à recruter des femmes.

Pour recueillir les besoins des collaborateurices, Laury Maurice, la CEO a proposé de créer des groupes de travail non-mixtes, c’est-à-dire avec les personnes concernées. La non-mixité choisie n’est pas nouvelle mais fait polémique (cf : les réunions des féministes Nuit Debout). Pour convaincre les deux fondateurs hommes de l'intérêt d'un groupe non-mixte, Laury a exposé des situations fréquentes :

  • le manterrupting : accaparement du temps de réunion par les hommes et interruption de la parole des femmes ;
  • le mansplaining et le syndrome des chevaliers blancs. Nourris de bonnes intentions et/ou de bonne volonté, les hommes vont accaparer les problématiques des femmes, confisquer la parole et finalement invisibiliser les femmes ;
  • le “not all men” qui invisibilise le côté systémique du sexisme ;
  • le syndrome de Cassandre. Cassandre est la fille du roi de Troie qui prédisait l’avenir, mais personne ne l’écoutait. On va le retrouver lorsqu’on dit aux femmes : “t’en fais des caisses ! tu fais des généralités” qui discréditent la parole des femmes.

Dernier argument (assez convaincant), les réunions en non-mixité ne choquent personne lorsqu'elles ont lieu entre hommes et c’est même très courant. La question : pourquoi cela choque autant lorsque ce sont des femmes qui le font ?

Ce groupe de travail non-mixte a permis de créer les actions suivantes :

  • une cagnotte menstruelle : l’entreprise met 10 jours de facturation par personne dans une cagnotte et toute personne menstruée peut aller piocher dans cette cagnotte pour poser un congé (ça concerne les femmes mais aussi les personnes trans) ;
  • un congé IVG ou pour arrêt naturel de grossesse de 5 jours - ces congés sont aussi à destination du ou de la partenaire de la personne ;
  • une augmentation du télétravail pour les femmes enceintes ;
  • une reprise après le congé maternité à 6h de travail par jour ; 
  • une prime compensatrice de congé parental : l’entreprise finance un mois de congé parental au second parent en donnant une prime qui intervient quand la salariée reprend le travail afin que le coparent se retrouve face à ses responsabilités ; 
  • l’obligation de prendre le congé paternité dans son entièreté.

Le bilan :

  • 0 abus sur le congé menstruel. Sur les 100 jours à disposition, il y a une dizaine de jours qui ont été pris
  • 2 congés parentaux avec la prime compensatrice pour les coparents des salariés Shodo
  • 7 bébés avec les coparents qui ont profiter pleinement, sans culpabilité de prendre l’entièreté de leur congé
  • 0 préjudice au niveau des clients
  • 9 femmes sur 10 déclarent aimer leur boulot
  • 3 fois moins de remarques sexistes
  • 2 fois plus de candidatures spontanées féminines
  • 3 fois plus de salariées recrutées en trois ans

Pour Laurie, rétablir l’équité a un coût, mais il est à mettre au regard du coût des démissions (recherche, remplacement, désinvestissement...).

2. Pourquoi et comment militer en 2025 ?

Hélo Berthelier du Planning familial : "À l’heure de la montée de l’extrême droite, de la transphobie, de la désinformation, il est important (sans parler de lutte en particulier) de créer des ponts entre les luttes pour faire front commun." 

Le Planning Familial est devenu officiellement un mouvement féministe intersectionnel*.

Beatrice Pradillon de l’association « les dévalideuses » rappelle qu’il n’y a pas qu’une seule forme de militantisme et qu’il est donc inutile de les hiérarchiser.

À l’association, elles ne peuvent pas toujours manifester dans la rue, mais elles vont faire de la pédagogie, créer des arguments pour que d’autres puissent les relayer, occuper l’espace dans les réseaux-sociaux malgré la violence qu’il y règne. Par ailleurs, même une personne militante peut-être maltraitante : la bonne volonté ne suffit pas, il faut se construire des connaissances militantes. Cela demande du temps et de l’énergie.

Magali MILBERGUE, de l’association Compositech rappelle qu’on surestime ce que ça demande de militer : « Militer, c’est être dans une communauté et faire une action par-ci par-là. Ça ne demande pas d’organiser les choses ou de monter son asso : c’est participer quelques fois dans l’année ». C’est aussi militant de réfléchir à des modes de fonctionnement qui permettent aux personnes de faire à leur rythme, et d'éviter le burn out militant.

3. Keynote  sur les risques du développement personnel en entreprise par Élisabeth Feytit

Élisabeth Feytit interroge les croyances en entreprise, en particulier celles de la tech, celles d’un secteur « challengeant », « dans lequel on ne compte pas ses heures ». On va donc y retrouver un type de managements articulés autour de discours du type « ceux qui réussissent sont ceux qui ont le bon mindset », « qu’il faut sortir de ses croyances limitantes », qui traduit en fond que nous pouvons nous adapter à tout, que rien n’est insupportable si on fait un travail sur soi.

Ce style de management est typique du développement personnel ! Voici quelques exemples d'offres de développement personnel en entreprise :

  • Offres motivationnelles : coaching spécial entrepreneuse, la PNL (Programmation Neuro Linguistique), la pensée positive
  • Offres pour mieux se connaître :
    • le MBTI qui détermine 16 profils psychologiques
    • le test DISC pour Dominance Influence Stabilité et Conformité qui détermine les types de personnalités catégorisées en couleurs
    • le test ennéagramme qui classe 9 personnalités en fonction de traits de caractère.
    • le human design qui classe les personnalités en 5 types d’énergie
  • Offre sur la communication : la CMV pour Communication Non Violente
  • Offre de bien-être : méditation, yoga, massage
  • Offre relevant de l'encapacitation (empowerment) : féminin sacré, sorcière, tisseuses de rêve…

Pourquoi ces offres de développement personnel ont du succès ?

  • Elles sont porteuses de promesses : mieux nous connaître, reprendre le contrôle, performer, gagner plus d’argent...
  • Ces méthodes sont souvent assez complexes et nécessitent un apprentissage, ce qui leur confère une certaine crédibilité.
  • Elles sont proposées dans la sphère professionnelle, ce qui assure un gage de sérieux.

D’où viennent-elles ? Sur quoi sont-elles fondées ?

Elles prennent essence dans des démarches spirituelles des années 70 développées en opposition à une société consumériste.

  • La PNL n’est pas issue de recherches scientifiques, mais a été inventée par 2 américains qui y ont agrégé des éléments qu’ils jugeaient intéressants, notamment les 3 types de cerveaux (reptilien, limbique, néocortex) qui n’ont pourtant aucun fondement scientifique, car le cerveau fonctionne comme un tout et pas comme la somme de 3 entités distinctes.
  • La pensée positive peut avoir des effets comme ceux d’une prophétie autoréalisatrice. Le fait que si je suis de bonne humeur va me donner plus de chance de passer un bon entretien. Mais ce type de théorie invisibilise toutes les discriminations, violences systémiques dont certaines personnes sont victimes. Cela peut à l’inverse contribuer à augmenter l’anxiété si nous ne parvenons pas à avoir en continu des pensées positives.
  • Les techniques pour mieux se connaître comme le test MBTI n’est pas non plus prouvé. Lire la rubrique « fiabilité du questionnaire officiel et test » dans la page Wikipedia
  • Il en est de même pour le test DISC. Lire la rubrique « Critiques » de la page Wikipédia.
  • Le human design a été inventé par un auteur inspiré par la physique quantique, l’occultisme et des pensées indiennes, qui s’est dit qu’on pouvait améliorer ses facultés de communication grâce aux sciences occultes. 
  • La CMV a été étudiée scientifiquement, mais à ce jour, toujours aucune preuve de son efficacité.
  • Les théories spirituelles comme le féminin sacré repose sur une essentialisation de la femme et sur un business assez lucratif de vente de compléments alimentaires, de cosmétiques, etc.

Toutes ces méthodes peuvent avoir une utilité individuelle (permettre d’entamer une réflexion…) mais ont-elles leur place en entreprise ?

Quels sont les risques du développement personnel en entreprise ?

  • Comme ces techniques sont proposées sur le temps de travail, elles peuvent paraitre comme une injonction (ce serait mal vu de ne pas adhérer).
  • Elles reposent sur des croyances non validées par des connaissances et certains tests peuvent avoir des conséquences sur l’orientation de personnes.
  • Certaines offres vont cibler les femmes en entreprise en les présentant avec des pouvoirs particuliers et vont induire l’idée d’un retour à un ordre naturel. Ces méthodes vont aboutir à une responsabilisation des femmes en leur promettant de résoudre leurs problèmes si elles réalisent telles ou telles actions (parler plus fort que les hommes, travailler sur son syndrome de l’imposteur…). On oublie ainsi le problème systémique au profit de l’individu et on invisibilise le plafond de verre et les inégalités liées au sexisme, au racisme, à l’âgisme, au validisme.

Pour aller plus loin sur ce sujet  :